https://rcf.fr/culture/histoire/la-russie-est-elle-toujours-tsariste
Avec sa façon de gouverner et de s’appuyer sur l’Église orthodoxe pour consolider son pouvoir, Vladimir Poutine se fait l’héritier des dirigeants autocrates qui l’ont précédé.
Qu’il s’agisse du sort réservé à l’opposant Alexeï Navalny, de la Biélorussie ou de ses implications en Libye ou en Syrie, la Russie fait souvent la une des médias par les temps qui courent. De récents événements ont montré comment Vladimir Poutine s’appuie sur l’Église orthodoxe pour consolider son pouvoir, faisant plus que jamais de la Russie l’héritière de Constantinople. La Russie est-elle donc toujours tsariste ? Pour y répondre, Frédéric Mounier reçoit Jean-Pierre Arrignon, auteur de « Une histoire de la Russie » (éd. Perrin) et Bernard Lecomte, auteur de « KGB – La véritable histoire des services secrets soviétiques ».
LA RUSSIE, UN ÉTAT « SANS FRONTIÈRE »
Avec ses « 11 fuseaux horaires », la Russie est « un espace infini » où l’eau et la forêt sont omniprésentes. C’est ainsi que Jean-Pierre Arrignon caractérise la Russie et sa « vastitude », idée essentielle pour comprendre le pays. « Pour comprendre la Russie, il faut commencer par la géographie », dit l’historien. La Russie, avec ses 10.000 km de long, « en réalité n’a pas de frontière », confirme Bernard Lecomte, car elle « se limite là où il y a des gens qui lui disent stop ».
C’est d’ailleurs ainsi que Vladimir Poutine « dirige la Russie : il a ce réflexe d’avancer jusqu’à ce qu’on lui dise stop ». Et cela résume « toute l’histoire de la Russie », pour l’ancien grand reporter. Cette « vastitude » a des conséquences sur le plan politique : la Russie « ne peut être dirigée comme un État de type européen », estime Jean-Pierre Arrignon, « c’est trop vaste ! » Et avec la fonte des terres gelées, cet espace cesse d’augmenter aujourd’hui, non sans risques. (« En fondant, ces terres libèrent notamment des virus que nous ne connaissons pas… »)
DIEU DANS LA CONSTITUTION RUSSE
On a dit de Moscou qu’elle était la troisième Rome, avec pour mission de protéger la foi orthodoxe. Un concept « fondamental », rappelle Bernard Lecomte. Jean-Pierre Arrignon défend l’idée selon laquelle « la Russie est fondamentalement l’héritière de Constantinople », dont elle est « porteuse d’un art, d’une culture et d’une idéologie ». Et aussi d’une « espérance religieuse qu’elle a fait sienne ».
Deux événements récents viennent illustrer cela : l’ajout de la référence à Dieu dans la Constitution et la construction d’une réplique miniature de la basilique Sainte-Sophie en Syrie, financée par la Russie. « C’est l’espérance religieuse qui fait qu’elle est porteuse d’un devenir spirituel qui se traduit en expérience politique, en géopolitique, et toute l’histoire de la Russie n’est que ça. »
L’AUTOCRATIE RUSSE
C’est Ivan le Terrible (1530-1584) qui a « créé l’autocratie en Russie » : après lui, « tous les empereurs russes jusqu’à Nicolas II puis Staline vont sans arrêt dire que l’autocratie est fondamentale pour la Russie ». Quand, en 2017, Vladimir Poutine a été reçu en France, par Emmanuel Macron, « la diplomatie française a été habile de le recevoir à Versailles, parce que là c’était Pierre le Grand qui était reçu », se souvient Bernard Lecomte. Pierre le Grand qui est le fondateur de Saint-Pétersbourg : de même qu’il y a deux Rome, il y a Saint-Pétersbourg et Versailles…
INVITÉS
- Jean-Pierre Arrignon, historien, spécialiste du Moyen Âge et de la Russie contemporaine, professeur émérite des Universités, chargé de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess)
- Bernard Lecomte, ancien grand reporter, spécialiste des pays de l’Est, biographe de Jean Paul II et de Benoît XVI
BIBLIOGRAPHIE
- Une histoire de la RussieJean-Pierre Arrignonéd. Perrin (2020)
- KGB – La véritable histoire des services secrets soviétiquesBernard Lecomteéd. Perrin (2020)