Par Nathalia NAROTCHNITSKAÏA, Professeur des Universités, présidente de la Fondation pour l’étude de la perspective historique et Ekaterina NAROTCHNITSKAÏA, Professeur des Universités, directeur du Centre de recherche à la Fondation pour l’étude de la perspective historique.
Lien vers l’original en russe : http://www.stoletie.ru/sozidateli/pamati_zhan-pjera_arrinona_291.htm
« Jean-Pierre ARRIGNON était un grand ami de la Russie, spécialiste mondialement reconnu de l’histoire de notre pays »
Jean-Pierre ARRIGNON, grand historien français, byzantiniste et médiéviste s’est éteint au début de la Semaine Sainte selon le calendrier orthodoxe, des suites d’une longue maladie. C’était notre collègue et un ami fidèle. Ce n’était pas seulement un grand ami de la Russie mais aussi un grand connaisseur de ce pays. Il a étudié l’histoire de la Russie en profondeur : des origines à nos jours. Ses recherches portent sur l’étude de l’Histoire de la Rus de Kiev, sur les manuscrits et la littérature en slavon. C’était un grand savant qui comprenait parfaitement l’âme orthodoxe, l’âme du peuple russe. Grâce à sa traduction, les lecteurs occidentaux ont pu découvrir les nombreux manuscrits écrits en vieux russe comme « La chronique du temps passé » (« La Chronique de Nestor »).
Il a soutenu sa thèse intitulée « La chaire métropolitaine de Kiev, des origines à 1240 » à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction d’Hélène AHRWEILER « patriarche de la byzantinologie européenne », première femme-recteur.
Agrégé d’Histoire et Docteur d’Etat, le Professeur Jean-Pierre ARRIGNON a débuté sa carrière à l’Université de Poitiers où il a exercé la fonction de doyen de la faculté des Sciences Humaines. Il a enseigné également à l’Université du Littoral Côte d’Opale, à l’Université d’Artois ainsi qu’à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
Il a partagé sa vie entre la France et la Russie, notamment à Iaroslavl. C’est lui qui était à l’origine de la création de la Maison Poitou-Charentes à Iaroslavl et la signature d’échanges universitaires entre Iaroslavl et Poitiers. C’est à ce titre là, qu’il est devenu Docteur honoris causa de l’Université de Iaroslavl.
Pour ses mérites universitaires, le Professeur Arrignon a été décoré de plusieurs distinctions d’État : il est Officier des Palmes académiques et Chevalier de l’Ordre national du Mérite. Son dernier ouvrage « Une Histoire de la Russie » paru en octobre 2020 aux éditions Perrin est considéré comme « une somme brillante et enlevée, qui fera date ». Lui-même, il a considéré ce travail comme « son testament intellectuel ».
Tout au long de sa vie, il a essayé de faire comprendre aux Occidentaux la Russie qui « reste mal connue et souvent critiquée ».
Historien médiéviste, ses recherches portent avant tout sur le monde slave médiéval : politique, religieux, militaire, culturel entre VII et XV s. Mais ce n’est pas par hasard qu’il est considéré en France comme le meilleur spécialiste de l’orthodoxie ainsi que de la géopolitique et de la stratégie de la Russie contemporaine. Il figure parmi ces rares historiens occidentaux qui connaissent très bien l’histoire de la Rus de Kiev et qui ont su hausser le ton pour défendre la vérité historique sur la Crimée. Brillant orateur, on pouvait l’écouter des heures et des heures. Ses discours ont toujours été clairs et bien argumentés. Jusqu’à la fin de sa vie il est resté fidèle à la vérité historique.
Notre amitié avec Jean-Pierre Arrignon et avec son épouse, sa « muse » Zoya dure depuis plus de 20 ans. Zoya Arrignon a aussi beaucoup œuvré pour le renforcement des liens culturels entre la France et la Russie. Elle est la présidente de la branche russe de l’association « La Renaissance Française », la plus ancienne institution française de la défense de la francophonie, fondée en 1915 par Raymond POINCARE, Président de la République française. Notre première rencontre avec le couple Arrignon a eu lieu en 1999 en Yougoslavie, lors des bombardements de Belgrade. Nous étions parmi les rares intellectuels qui ont manifesté leur soutien à nos frères serbes et sommes venus participer au congrès organisé par Pr. Slavenko TERSIC, Directeur de l’Institut d’Histoire de l’Académie des Sciences de Serbie, actuel Ambassadeur de Serbie en Russie.
Depuis la création de l’Institut de la démocratie et de la coopération à Paris (Présidente : Pr. Nathalia NAROTCHNITSKAÏA), le Professeur Arrignon était un actif et fidèle intervenant à nos tables rondes, nos conférences et nos missions.
Il était parmi les rares universitaires occidentaux ayant accepté notre mission au Kosovo pour constater les dégâts de cette guerre : les églises orthodoxes et les maisons serbes détruites, les monastères orthodoxes sans chauffage et sans lumières laissées à l’abandon par le pouvoir albanais et les monuments dédiés à la guérilla UCK (l’Armée de libération du Kosovo) érigés à la place de ces églises. Nous avions pu obtenir un rendez-vous et poser des questions « embarrassantes » au général Yves de Kermabon, chef de la mission Etat de droit au Kosovo (EULEX Kosovo).
Lors de conflit ukrainien, en 2015, quand les pluparts des intellectuels européens ont tourné le dos à la Russie, le Professeur Arrignon a eu le courage de venir à Yalta, en Crimée, pour participer au forum consacré au 70ème anniversaire de la conférence de Yalta et organisé par notre Fondation.
Les conservateurs russes évoquent souvent le dilemme « Russie et Europe », qui faisait déjà l’objet de réflexions et de discussions par le passé. Dans notre amitié avec Jean-Pierre -véritable représentant de la grande culture et de la pensée européennes – il n’était pas question de ce dilemme « Russie et Europe ». En Europe, il y a très peu de personnalités comme le Professeur Arrignon qui osent élever la voix pour dénoncer les erreurs historiques, le mensonge et l’injustice.
Avec des européens comme le Professeur Arrignon nous avions des visions communes sur les notions de péché et vertu, beauté et laideur, bien et mal, vérité et mensonge dans des domaines comme la science, la politique, le droit, la justice, la démocratie. Nous étions convaincus que les Russes, les Serbes, les Allemands, les Italiens et les Français étaient unis par une même civilisation : unis non pas par des « Constitutions » mais unis par « Notre Père », les mêmes racines chrétiennes. Cependant il n’est pas possible d’en parler librement en Occident actuellement. En Europe occidentale, et même dans la constitution européenne, il n’y avait pas de place pour les valeurs chrétiennes. Un tel raisonnement serait considéré comme politiquement incorrect.
Jean-Pierre Arrignon était un véritable représentant de la grande culture et de la grande pensée européenne pour qui il n’y avait pas la distinction entre « la Russie et l’Europe ». Selon lui « la Russie a participé à la construction de l’Europe ».
Jean-Pierre Arrignon était un vrai Français – beau, galant, brillant, un vrai gentleman. Il était un véritable pro-européen. C’était un grand savant qui a énormément œuvré en faveur du renforcement des liens entre la Russie et l’Europe. C’était l’un des rares occidentaux qui comprenait et défendait la Russie, mieux que de nombreux Russes. Son départ laisse inconsolables sa veuve Zoya, sa fille Xénia ainsi que tous ses amis. Même la Russie ne mesure pas encore cette immense perte.
C’est un très bel hommage de la part des professeurs Nathalia NAROTCHNITSKAÏA et Ekaterina NAROTCHNITSKAÏA. Le professeur Arrignon m’a fait découvrir et aimer l ‘histoire médiévale orientale et l’histoire de la Russie à l’époque ou il enseignait l’histoire médiévale à l’université de Poitiers . Son décès laisse un vide immense au sein de la communauté scientifique.
J’adresse me condoléances à son épouse et à sa fille