Conférence de Yalta –Commémoration du 70e anniversaire (4-5 février 2015)

Je viens de participer au Colloque international organisé à Yalta pour commémorer le 7Oe anniversaire de la célèbre conférence. Ce colloque avait pour thème : « Yalta 1945 : passé, présent et avenir ». Il s’est tenu dans les lieux mêmes de la célèbre rencontre, dans le palais de Livadia. Il a réuni environ 130 participants, russes et étrangers.

Je voudrais vous faire part des quelques conclusions que j’en ai tirées. Pour le premier thème, le passé, nous pouvons nous réjouir de la volonté, soulignée par tous les intervenants, de publier tous les documents que l’ouverture des archives rend désormais accessibles. Des ouvrages ont été présentés ; d’autres sont en cours d’édition ; le travail des historiens en sera bien sûr renouvelé. Nos collègues russes ont véritablement fait leur, le « devoir d’histoire » sans lequel il ne peut y avoir de « devoir de mémoire » solide. Dont acte.

Le second thème : le présent a été le plus fourni en communications. Je ne peux évidemment pas ici faire état de toutes ; elles seront publiées. J’ai plus particulièrement retenu les interventions concernant le sens à donner à cette conférence. Ainsi, il a été rappelé que les trois chefs alliés, Winston Churchill pour le Royaume Uni, le président américain F.D. Roosevelt et le Secrétaire général du PCUS, Joseph Staline, bien qu’ayant des conceptions idéologiques très différentes, n’en ont jamais fait un argument de blocage des négociations. Chacun avait parfaitement compris que l’issue de la guerre, qui n’était pas encore achevée, dépendait de leur capacité à conserver leur alliance. En outre, chacun avait des intérêts particuliers à défendre : W. Churchill tenait à conserver l’empire britannique ; F.D. Roosevelt cherchait surtout à achever la guerre contre les Japonais laquelle coûtait très cher en boys et avait besoin d’amener les Soviétiques à déclarer la guerre au Japon, après la victoire sur le Troisième Reich ; enfin, J. Staline, depuis l’exclusion de l’URSS de la SDN le 14 décembre 1939, voulait consolider son retour parmi les Grandes puissances et protéger l’URSS par un système d’états tampons. Enfin, tous étaient d’accord pour mettre sur pied une juridiction internationale qui permettrait d’éviter le recours à la guerre et donnerait aux Puissances victorieuses un droit particulier. IL en sortira l’ONU et le Conseil de Sécurité où les Grandes puissances jouirent d’un droit de veto. Sur ces bases, chacun a été capable d’avancer et de trouver des compromis pour terminer la guerre. De nombreuses interventions ont souligné le sens des responsabilités de ces hommes d’état, capables d’instaurer entre eux, respect, considération et confiance, pour dépasser leurs divergences idéologiques. Néanmoins, après Yalta, il y eut Postdam, le 2 août 1945 et le 5 mars 1946 le discours de Fulton qui dénonce le « rideau de fer » et marque l’entrée dans la « guerre froide », puis la création de l’OTAN le 4 avril 1949 ; il n’est pas anodin de remarquer que cette évolution des relations internationales s’est produite après la disparition du Président F.D. Roosevelt le 12 avril 1945, de W. Churchill éliminé du pouvoir en juillet 1945 et du Général de Gaulle qui « fout le camp » le 20 janvier 1946 . Seul J. Staline restait au pouvoir. Une page d’histoire était tournée.

Bien évidemment, un parallèle a été fait avec la situation actuelle en Ukraine. Il a été rappelé que lorsque N. Khrouchtchev a rattaché par décret, la Crimée à l’Ukraine en 1954, il en a enlevé le port de Sébastopol, conservé dans la République S.F. de Russie ! Nombreux sont ceux qui aujourd’hui l’ont oublié ! Mon éminent Collègue français, François-Xavier Coquin, Professeur émérite du Collège de France, a développé un argumentaire solide montrant que la stratégie des Etats Unis a toujours été de chercher à renverser les pouvoirs élus qui n’entraient pas dans la vision américaine de l’Histoire, en soutenant des mouvements insurrectionnels qu’ils avaient le plus souvent fomentés et financés pour les remplacer par des pouvoirs vecteurs de leur idéologie : ainsi sont apparues les célèbres révolutions de couleur dont la première fut 1968 en France et la dernière en date, Maïdan. Dans cette lecture, Les Etats Unis cherchent à annexer l’Ukraine et la réinsertion de la Crimée dans la République Fédérative de Russie, suite à un référendum qui a donné plus de 97% de voix à cette démarche, devient alors une libération, face aux manœuvres annexionnistes des Etats Unis. Xavier Moreau a quant à lui évoqué l’attitude du général de Gaulle, évincé de Yalta, par les trois alliés, mais réintégré pour la signature de la capitulation puis associé aux Grandes puissances avec droit de veto à l’ONU après que le Président Truman eut déclaré vouloir retirer ses boys d’Europe dans les deux ans qui suivaient la capitulation. W. Churchill comprit rapidement que le Royaume Uni ne pouvait rester seul face à Staline en Europe et se tourna vers la France pour obtenir son soutien.

Enfin le troisième thème : l’avenir illustré par mon Collègue le Professeur Tremble qui évoqua tout ce qui avait changé dans la situation internationale entre Yalta et aujourd’hui, s’attachant à montrer qu’un Yalta 2 était peu envisageable notamment face à la montée en puissance de la démographie mondiale ainsi que des pays émergents en particulier en Afrique, Amérique du Sud et Asie du Sud-Est. Il espère que c’est dans la meilleure connaissance des cultures des uns et des autres que l’on pourrait réduire les espaces conflictuels. Quant à moi, j’ai analysé les manuels des classes terminales des 5 principaux éditeurs ainsi que les directives ministérielles qui organisent l’enseignement. Le constat est simple : L’URSS et la Russie sont purement et simplement éradiqués de ces manuels. Le rôle de l’URSS dans la seconde guerre mondiale a disparu ; Yalta n’est citée que dans deux manuels et encore par des caricatures américaines. Aussi je me suis demandé s’il y aurait encore une conférence en 2045 pour célébrer le centenaire de la conférence de Yalta dans un monde qui a renoncé à faire de l’acquisition des savoirs et des connaissances une tâche majeure de l’Education nationale pour la remplacer par une « démarche d’approfondissement de la réflexion historique afin d’appréhender les démarches de la réflexion ». L’histoire devient alors une discipline idéologisée au service d’un « devoir de mémoire » coupé du « devoir d’Histoire ».

CE colloque s’est terminé le 5 février par le dévoilement d’une statue en bronze offerte par le sculpteur Z. Tséreteli à la ville de Yalta. Elle montre W. Churchill, avec son cigare, Roosevelt avec sa cigarette et Staline assis ensemble sur un même canapé et dialoguant. La statue est de belle facture. C’est peut être le meilleur moyen de conserver le souvenir de cet événement !

JP Arrignon

Yalta 3-5 février 2015


1 commentaire

  • Samuel Thouvenin dit :

    Cher Jean Pierre,
    Votre conclusion qui dit que l’enseignement de l’histoire se résume de plus en plus à un « moyen » d’entretenir le devoir de mémoire est totalement justifiée t est de plus en plus critiquée par les profs d’histoire de formation historique. Je précise car il y a des profs d’histoire de formation géographique !
    Aujourd’hui cette formidable science s’abandonne aux politiques et aux journalistes pour lesquels tout est historique.
    L’enseignement de l’histoire est instrumentalisé dans une France en recherche de sa grandeur passée et aux valeurs de plus en plus contestée. On a longtemps cru qu’il suffisait que notre administration jacobine décrète la laïcité pour qu’elle soit adoptée par les citoyens.
    Aujourd’hui on n’explique plus, on commente ! Aujourd’hui on n’enseigne plus l’histoire pour construire le futur mais pour continuer de croire en la grandeur d’une France passéiste ! On enseigne l’histoire pour accréditer la thèse que seuls des hommes extraordinaires peuvent conduire notre Nation. On revient en force sur De Gaulle, Napoléon, Louis XIV et même Clovis quitte à se laisser aller à quelques approximations pourvues qu’elles servent l’idée d’une Nation soudée et indivisible.
    Effectivement l’affaire de Crimée démontre à quel point la méconnaissance de l’histoire amène à des jugements erronés. Qui se souvient en effet que la Crimée a toujours été russe jusqu’au cadeau de Nikita en 1954. Peut être voulait il se laver une conscience bousculée par son rôle majeur dans les différentes purges et famines opérées dans ce territoire sous Staline.