« à la mémoire de Jean-Pierre ARRIGNON » par Mme Ekaterina Narochnitskaya, directrice de recherches à l’Institut de l’Europe de l’Académie des sciences de Russie ; directrice du Centre d’analyses a la Fondation “Perspective Historique” (Moscou), rédactrice en chef de la revue en ligne “Perspektivy”

Radio Courtoisie, Libre journal des historiens du 24 mai 2023

Le professeur Jean-Pierre Arrignon était une personnalité tout à fait remarquable dans le monde académique et à plusieurs titres. Chercheur réputé, incomparable orateur, homme de grande culture intellectuelle, il se distinguait par son espritouvert, humaniste et véritablement universaliste. Sa vision du monde dépassait de loin l’optique occidentaliste. Il considérait diverses trajectoires historiques sans préjugés dogmatiques. Il savait percevoir leurs significations singulières, leurs apports particuliers à la civilisation universelle. Il cherchait à comprendre l’âme des peuples, l’âme des civilisations. Et il avait le courage d’élever sa voix à contresens de la pensée unique.

Médiéviste par formation, maîtrisant le slavon et la langue russe, le professeur Arrignon est devenu un spécialiste reconnu du monde slave et orthodoxe de différentes époques. Par ailleurs, il portait toujours un intérêt vibrant et inlassable aux développements actuels à travers la planète, a la géopolitique contemporaine. Quant à la Russie, Jean-Pierre Arrignon s’est voué à l’étudier en profondeur, intégralité et continuité, des origines à nos jours.

Cette approche intégrale, au sens temporel, mais aussi thématique et méthodologique, est une des particularités de son dernier grand ouvrage « Une histoire de la Russie » face à d’autres exposés généralisés sur ce sujet. Dense et concis en même temps, ce livre-testament contient d’importants messages sur le plan historico-philosophique, analytique et politique. La formule « la Fille ainée de Constantinople » appliquée par le professeur Arrignon à la Russie est beaucoup plus qu’une métaphore. Il s’agit d’un concept, qui donne à l’héritage byzantin dans l’histoire russe une dimension nouvelle par rapport aux stéréotypes existants. Ce volume et les autres œuvres principales du professeur Arrignon resteront des lectures de référence pour tout étudiant francophone du monde russe.

L’héritage intellectuel de cet historien d’esprit profond et de vastes connaissances devient encore plus pertinent dans le contexte actuel extrêmement tendu. Sur le sujet brulant qui domine désormais l’agenda international, j’évoquerai aussi l’entretien avec Jean-Pierre Arrignon « D’où vient et où va la Russie ? », publié il y a 8 ans par « La Nouvelle Revue d’Histoire». Quant au testament politique du professeur, il est résumé dans les lignes finales de son dernier ouvrage.  

Parmi les qualités humaines de Jean-Pierre Arrignon je noterai d’abord une rare délicatesse et le respect présumé envers les autres. Sa phrase : « Je n’ai pas le monopole de vérité. Personne ne l’a » devrait nous guider tous dans nos controverses et conflits… Lui, il préférait et savait promouvoir ses propres convictions à travers analyses fondées et dialogue.

Mais ce qui me fascinait le plus chez Jean-Pierre, c’étaient sa passion pour la vie et surtout son optimisme existentiel.  Cet optimisme, il le gardait tout en partageant des profondes inquiétudes par rapport aux mutations culturelles, sociétales et géopolitiques de notre temps. Son enthousiasme historique, qui n’avait rien de laxiste, était du genre supérieur. Il puisait sa force dans la foi chrétienne, qui lui donnait une confiance fondamentale en nature humaine. Dans celle-ci Jean-Pierre Arrignon voyait – malgré tout – l’icône de Dieu.


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