Comme promis, je vais essayer de lire le document cosigné par les deux prélats à l’issue de leur rencontre. Toutefois, il me semble indispensable tant la confusion est entretenue par les médias de rappeler l’historique des relations entre les prélats de Constantinople, de Moscou et les papes de Rome.
Tout les medias ont rapporté la date de 1054, comme celle de la dernière rencontre entre les deux prélats, de Rome et de Constantinople. Cette assertion est totalement fausse. 1054 est l’année du schisme qui devait séparer les églises de Constantinople et de Rome jusqu’en 1965. Le 16 juillet 1054, le cardinal romain Humbert de Moyenmoutiers excommunie le patriarche de Constantinople Michel Cérulaire alors que le pape Léon IX est mort depuis le 19 avril 1054. Le schisme dure jusqu’au 7 décembre 1965 quand, à la fin du II concile œcuménique du Vatican, le patriarche Athénagoras I lève l’excommunication prononcée contre la cardinal Humbert, alors que dans le même temps le Pape Paul VI lève celle prononcée contre le patriarche Michel Cérulaire. Pour y parvenir, les deux prélats, Athénagoras 1e Patriarche œcuménique de Constantinople et le Pape de Rome, Paul VI, se sont rencontrés à Jérusalem en 1964. Une autre rencontre entre le patriarche œcuménique et le pape de Rome eut lieu en 1438 à l’occasion du concile de Ferrare/Florence dit d’Union des Eglises. Le concile, Transféré de Bâle à Ferrare, s’ouvrit le 9 avril 1438, par une session commune des Grecs et des Latins, en présence du pape, Eugène IV, de l’empereur, Jean V Paléologue et du Patriarche œcuménique de Constantinople, Joseph II. Ainsi, malgré le schisme, il y eut deux rencontres entre le pape et la Patriarche œcuménique de Constantinople, mais aucune avec le patriarche de Moscou et de toute la Russie.
Il faut rappeler que la Russie a été baptisée en 988/989 sous le règne du prince de Kiev, Vladimir. L’Eglise russe se développe sous l’autorité d’un métropolite, en résidence à Kiev, investi par le Patriarche de Constantinople. En 1054, le métropolite russe est Hilarion. Quant à la ville de Moscou, elle n’existe pas encore ; son nom apparaît pour la première fois dans les chroniques en 1147 ! Avec l’arrivée des Mongols (1240), le métropolite de Kiev s’installe à Vladimir en 1299, puis à Moscou en 1328. Enfin, en 1547, Ivan IV est couronné tsar de Russie et en 1589, le métropolite de Moscou reçoit du patriarche œcuménique Jérémie II, le titre de Patriarche de Moscou et de toute la Russie, titre confirmé par les conciles de Constantinople de 1590 et 1603. Le titre de Patriarche de Moscou et de toute la Russie, est supprimé par Pierre le Grand en 1721 ; le Patriarcat est alors remplacé par un Saint-Synode président par un laïc ! La patriarcat est restauré le 15 août 1917 par l’élection de Tikhon qui meurt en martyr en 1925. Suit alors une longue vacance du siège patriarcale jusqu’au 12 septembre 1943 avec l’élection de Serge Ier (1943-1944). Depuis lors la succession des Patriarches de Moscou et de toute la Russie est continue.
Il m’a semblé nécessaire de rappeler les faits ; Il ne pouvait y avoir de rencontre entre la pape et le patriarche de Moscou en 1054 et il n’y en eut pas avant le 12 février 2016.
La déclaration de La Havane, s’adresse « à tous les peuples d’Amérique latine et des autres continents ». Il n’est pas fait la moindre allusion à Bartholomée 1e , Patriarche œcuménique de Constantinople, depuis le 22 octobre 1991. Il est clair que cette déclaration commune investit le Patriarche de Moscou et de toute la Russie comme chef naturel des orthodoxes ! Ce texte souligne d’autre part la volonté de tourner la page des « divergences historiques dont nous avons hérité » pour « rétablir cette unité voulue par Dieu » et rendue nécessaire face à la persécution qui voit « nos frères et sœurs en Christ exterminés par familles, villes et villages entiers » ou contraints à un exode massif. Suit un appel à la communauté internationale « à des actions urgentes » pour mettre fin à la violence et au terrorisme et contribuer au « dialogue à un prompt rétablissement de la paix civile ». Ces martyrs de notre temps …sont un gage de l’unité des chrétiens », c’est l’œcuménisme du sang. Après avoir salué le renouveau de la foi chrétienne en Russie et dans de nombreux pays de l’Est, les deux prélats soulignent l’importance du « processus d’intégration européenne » dans le « respect des identités religieuses tout en restant fidèle à ses racines chrétiennes ».
L’objectif à atteindre est la prise en compte de ceux qui vivent en extrême pauvreté laquelle est accentuée par des » millions de migrants et de réfugiés qui frappent à la porte des pays riches » tout en respectant les ressources de notre planète.
Les deux prélats réaffirment le rôle central de la famille « centre naturel de la vie humaine et de la société » et appellent la jeunesse chrétienne à être « la lumière du monde ».
Enfin « orthodoxes et catholiques ne sont pas concurrents, mais frères » et constatent que « la méthode de l’uniatisme du passé, comprise comme la réunion d’une communauté à une autre, en la détachant de son Eglise, n’est pas un moyen pour recouvrir l’unité ». Il s’agit là d’une condamnation inédite de l’uniatisme, suivie d’un appel à « tous les chrétiens orthodoxes d’Ukraine à vivre dans la paix et la concorde avec l’appui des catholiques du pays ».
Comme nous pouvons le voir, la rencontre de La Havane, marque l’ouverture d’une nouvelle page de l’histoire de l’Eglise avec en perspective le rétablissement de l’unité voulue par Dieu. Il ne fait pas de doute que cette déclaration va susciter de sérieuses controverses notamment en Ukraine où les antagonismes politiques s’appuient souvent sur les antagonismes religieux, mais aussi aux Etats Unis soutien permanent du Patriarche œcuménique de Constantinople !
JP Arrignon
Bravo et merci pour ce commentaire historique utile et nécessaire.
Le communiqué commun est tout à fait actuel, juste, plein d’avenir et d’espérance. Mais il faut avoir la foi et croire à l’efficacité de la prière pour ne pas le croire utopiste.
Cordialement