Les peuples slaves connaissent du 5e au 7e s. une formidable expansion territoriale en Europe centrale et orientale qui les portent de l’Elbe à l’ouest, au Dniepr et au Volkhov à l’est ; de la Mer baltique au nord, à la péninsule balkanique et au Péloponnèse au sud. Les Slaves sont identifiés par des éléments ethnographiques culturels : une poterie moulurée, la construction des maisons et les rites funéraires. Ces éléments permettent de les différencier des autres peuples vivant à la même période comme les Germains, les Baltes, les Thraces, les Turcs, les Iraniens et les Finno-ougriens.
Sur la base des données archéologiques des 5e-7e s., on distingue trois principaux groupes de population slave. Le premier groupe est caractérisé par la céramique dite de Prague-Kortchaskij dont les principaux traits sont de grands pots au tronc conique au col légèrement rétrécis et une courte ouverture, un habitat fait de troncs de bois et de terre avec un intérieur typiquement slave et des rites funéraires d’incinération des morts dont les cendres étaient déposées dans des urnes de terre. Ce groupe de population slave s’est étendu sur un vaste territoire depuis de l’Elbe à l’Ouest au Pripet à l’est comprenant les cours moyens de la Vistule et de l’Oder.
Un second groupe de population slave s’installe plus au sud, dans la steppe arborée, entre le Dniepr et le Danube et vers le sud jusqu’à la péninsule balkanique. Ils sont identifiés par la céramique dite de Prague-Pen’kovok et un habitat semi-enterré. Ils pratiquent la crémation des cadavres mais aussi l’inhumation. Ils n’ont pas l’habitude d’élever des kourganes/tumuli sur les tombes ; les corps sont ensevelies dans la terre. La forme principale de la poterie est celle d’un pot avec un faible profilage de la partie haute et une ouverture ovale ou ronde.
Le troisième groupe de population slave est installé dans la partie nord-ouest de l’Europe, lui aussi caractérisé par une céramique particulière dite de Pastyrskij au tronc rond, à surface grise avec un décor à partir d’une bande en creux.
L’archéologie a parfaitement identifié les groupes des populations slaves qui se sont installés dans cette grande plaine européenne ; ces trois groupes de population slave du premier millénaire avant notre ère reflètent le dernier stade dialectique de langue préslave. Le Slaves de ce temps parlaient encore une langue commune mais ils n’étaient pas figés dans leurs relations linguistiques. En effet, les linguistes ont largement montré la présence de termes empruntés aux langues parlées chez les peuples voisins avec lesquels ils avaient des relations économiques et sociales développées.
Qui étaient ces peuples ?
La Chronique des temps passés donne la liste des tribus qui acquitte l’impôt. Au nord, ce sont les tribus de langues baltes, à l’est, les tribus finno-ougriennes, au sud les tribus iranophones. Il est aisé de montrer que la plupart des hydronymes de ces régions sont d’origine balte ou finno-ougrienne, vers le sud, en revanche nous trouvons les toponymes iraniens. Tous ces peuples voisins des Slaves vivaient de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche comme en témoigne l’abondance des trouvailles archéologiques de serpes, de meules, des restes de blé, de fèves, de millet, de vesce, de pois ; pour ce qui est de l’élevage on a trouvé des fragments d’os de chevaux, de vaches, de porcs et de moutons. Surtout, dans ces premiers temps de peuplement de cette vaste plaine nord européenne, les villages de ces différentes populations étaient totalement ouverts, sans la moindre fortification, ce n’est que plus tard, vers le 5e s., de notre ère que les villages s’entourent de puissantes fortifications constituées par un fossé surmonté par un vallum. Cet habitat primitif, avant le 5e s., était constitué de grandes et longues maisons, dans lesquelles étaient ménagées un espace de vie, d’environ 20/25 m2, comportant un foyer. Les activités des Slaves, des Baltes et des finno-ougriens étaient complémentaires ; les uns s’adonnaient majoritairement à l’agriculture, les autres à l’élevage et les derniers à la pêche. C’est cette mixité économique, sociale et culturelle qui est à l’origine de l’ethnogenèse des Rus’, rassemblés dans un Etat commun la Kievskaja Rus’/Rus’ de Kiev. Le processus de « slavisation » des populations d’origine balte, finno-ougrienne et iranienne progressa rapidement et conditionna leur proximité ethnoculturelle et linguistique ; ce processus est achevé vers les 8e et 9e s. et permet alors la formation d’un Etat, la Rus’ de Kiev.
Il faut toujours garder à l’esprit que l’expansion de la langue vieux-russe, son influence sur les parlers locaux finno-ougriens, baltes et iraniens n’est pas du tout le résultat d’un peuplement rapide et massif qui aurait submergé les populations autochtones, mais au contraire, le résultat d’un très lent processus d’installation, de liens culturels et économiques complémentaires qui vont trouver une expression commune dans l’orbite politique par la création d’un Etat, la Rus’ de Kiev. Ainsi, les populations que les Byzantins voient franchir le Danube au cours du 7e s. et que les auteurs désignent sous le vocable générique de « Oἵ Rhôs » d’où dérive le terme Rus’, sont le résultat d’un long et lent processus d’assimilation de tribus d’origine diverse qui s’achève par l’adoption d’une langue commune qui trouve une expression écrite grâce à l’alphabet cyrillique « inventé » par Clément et Naum d’Ochrid, disciples de Cyrille et Méthode, à Preslav à la fin du 9e ou au début du 10e s. Désormais, ces populations sont rassemblés dans un même Etat et désignés par un même vocable, les Rus’ . Ils partageront peu après la même religion, celle du prince Vladimir, le christianisme byzantin adopté en 988/989. Une autre étape est alors franchie avec leur entrée dans l’oikouménè byzantine dont l’empereur et le patriarche de Constantinople sont les garants .
Voici une synthèse intéressante, qui montre bien que les Slaves proviennent d’une matrice plurielle.
L’académicien Likhatchev a écrit qu’il fallait lire l’histoire russe dans le sens Nord /Sud ou inverse, et non Ouest- Est, comme les Européens le voient habituellement
Cet article l’illustre bien
Eugène Berg