1914-2014: un centenaire qui appelle réflexion

Au moment où vont s’intensifier les commémorations des événements qui ont conduit à la grande Guerre, la bien nommée « Der des Ders », je voudrais poser un regard croisée sur les deux étés, celui de 1914 et celui de 2014.
« Rarement j’ai vécu un été qui fut plus luxuriant, plus beau, je dirai presque plus estival que celui de 1914 » écrit Stéphane Zweig. Les gens s’attendaient à bénéficier de davantage de progrès, davantage de prospérité, davantage de paix . Aucune puissance en Europe ne semblait prête à se lancer dans une guerre d’agression susceptible d’embraser l’Europe. Partout les socialistes, notamment Jean Jaurès, plaçaient leur action sur le maintien de la Paix. Pourtant, le 3 août 1914, la guerre éclata, l’Europe s’embrasa dan un conflit d’une violence extrême qui s’étira sur 4 longues années.
Comment comprendre ce retournement de situation ! Je soulignerai trois éléments qui me paraissent importants :
Un mythe érigé en obsession en Allemagne : la peur de la Russie !
Une conception de la guerre comme valeur suprême !
Une course effrénée aux armements !
Certes je ne vais pas entrer dans le détail des analyses des éléments ci-dessus mentionnés, mais seulement souligner les éléments de compréhension. La première décennie du XXe s. voit la Russie connaître un développement économique fulgurant lié notamment aux célèbres emprunts russes ; or cette croissance est perçue en Allemagne, par Guillaume II et la majeure partie des hommes politiques allemands, en particulier ceux qui formaient le Grand Etat-major général et son chef, Alfred von Schlieffen (1833-1913), comme une menace majeure qui s’inscrivait de plus dans la folle idée de l’inévitable affrontement entre Teutons et Slaves. Il fallait faire vite, balayer la France en quelques semaines pour retourner l’ensemble des forces allemandes contre la Russie ; L’ennemi à abattre ! La guerre devenait juste, nécessaire et urgente !
D’autre part la guerre est alors perçue comme une pratique bonne et saine. Théodore Roosevelt, futur Président des Etats Unis d’Amérique, déclare en 1897 « aucun triomphe de la paix n’est tout à fait aussi grand que le triomphe suprême de la guerre…Toutes les races dominantes ont été des races combattantes ». L’Europe était agitée par les valeurs irrationnelles que développaient Friedrich Nietzsche qui clamait dans son Ainsi parlait Zarathoustra « Dieu est mort ». La guerre devenait une espérance de reconstruire une société après l’échec des Révolutions de 1848 et 1871 !
Une telle lecture du monde est complètement soutenue parles grandes entreprises industrielles qui vivent alors un quasi âge d’or grâce aux puissantes industries de guerre, Krupp, Skoda, Creusot, Schneider et d’autres ! Cette course aux armements est rendue encore plus active par les incessants progrès technologiques qui nourrissaient non pas un sentiment de sécurité, mais, bien au contraire, engendraient un terrible sentiment d’insécurité qui poussait à la guerre. C’est ainsi que le 3 août éclata la terrible tragédie !
Regardons maintenant l’été 2014. Ce dernier est marqué aujourd’hui par des éléments qui rappellent étrangement certains de ceux de 1914. Nous en retiendrons seulement trois :
Le haro sur la Fédération de Russie
L’instrumentalisation des nationalismes et des idéologies
Les problèmes de l’information dans un paysage bouleversé par le web et internet.
Les événements qui malheureusement ont totalement déstabilisé l’Ukraine suite à ce que l’on appelle la « révolution de Maidan », notamment le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie et les troubles récurrents et meurtriers dans l’est du pays, ont trouvé leur bouc émissaire, celui par qui le mal est arrivé, le Président Vladimir Poutine. Je ne cherche pas ici à établir les responsabilités, ce serait trop long. Je constate seulement que cette attitude est la même que celle qui a prévalu en juillet 1914.Pour l’empire allemand il fallait détruire l’empire russe ; aujourd’hui l’ennemi commun est la fédération de Russie contre laquelle d’aucuns croient s’exempter de leurs responsabilités en multipliant les anathèmes D. Cameron ou D. Grybauskaité ou en présentant des preuves ; rappelons-nous celles apportées à l’ONU par Colin Powell concernant l’Irak ! Cette attitude présente un énorme danger celui de radicaliser la situation, de valider la violence et le recours à la guerre, de refuser tout dialogue politique ! la France est bien seule, et c’est à son honneur , de faire du dialogue et de la paix, les seuls moyens de sortir de la crise un . Rappelons-nous juillet 1914 ! C’est parce que W. Hague a échoué dans sa volonté de rassembler les protagonistes de la guerre pour dialoguer que le 3 août, la guerre éclata.
Un trait proche des années 14 est bien sûr la montée des nationalismes. Le vieil empire des Habsbourg était menacé dans son existence par la montée des nationalismes. Vienne était le lieu de rencontre des nihilistes, anarchistes, socialistes et clandestins de tous bords ! C’est là que se sont élaborées depuis le milieu du XIX e s. les langues des Slaves du sud et l’ukrainien ! L’Europe était en marche vers des Etats-nations ; l’empire des Habsbourg n’avait plus sa place ! Aujourd’hui nous constatons de même, la montée des nationalismes dans nos Etats-nations suite au mouvement d’immigration. L’affirmation d’une identité, d’une religion, d’une langue permet d’abord de rejeter toute intégration. Or ces mêmes forces centrifuges qui en 1914 vont contribuer à l’anéantissement des Habsbourg commencent à se manifester en Europe et de façon plus radicale encore au Moyen Orient. Le nationalisme et l’appartenance religieuse sont de plus en plus instrumentalisés au service de causes revendiquées par des groupes d’une extrême violence, sans que nous ne manifestions la moindre réaction. Il suffit de regarder les actes terroristes de EIIL à Mossoul à l’encontre des chrétientés orientales pourtant implantées dans ces régions bien avant l’Islam !
Toutes ces questions posent alors la question majeure, celle de l’information et des nouveaux vecteurs d’information et d’intoxication que sont le web et les réseaux sociaux. Certes ces innovations technologiques ont ouvert des possibilités quasi illimitées d’information, mais aussi, elles permettent avec la même intensité de brouiller tous les messages, au point qu’aujourd’hui, le plus difficile est de trouver l’information crédible et mesurée qui seule permet aux citoyens de se former une opinion. Or, sans une information de qualité, c’est la démocratie qui est minée !
Pour conclure ces quelques réflexions, regardons les commémorations des événements de la Grande Guerre, non pour sacraliser une histoire ou le passé, mais pour nous aider à réfléchir sur les évolutions de nos sociétés et les moyens à prendre pour faire des citoyens des porteurs de paix dans une humanité à reconstruire ; si nous n’y parvenons pas, le recours à la guerre risque alors de retrouver toute sa place de jadis comme ce fut précisément le cas en août 1914

J-P. ARRIGNON


1 commentaire

  • Samuel Thouvenin dit :

    Cher Jean Pierre,

    Analyse forte intéressante bien qu’effrayante dans sa conclusion.
    Toute cette poussée nationaliste nous éloigne chaque jour d’une Europe fédérale ou pour le moins fédéraliste pour nous rapprocher d’un repli qui n’aura comme conséquence que la désintégration progressive des liens pacifiques qui nous unissent depuis 70 ans maintenant.
    La guerre froide n’est pas morte, elle a pris une autre forme, plus sournoise, plus mesquine puisqu’elle s’appuie sur des idéologies qui méprisent effectivement l’histoire et sont contrariées par des intérêts économiques majeurs. Qui pourraient aujourd’hui valablement et durablement se fâcher avec la Russie sans compromettre ses propres intérêts économiques ? Personne évidemment.
    Cependant il faut rester lucide et faire de la Russie un bouc émissaire et une victime serait une erreur. Le nationalisme russe est très puissant et très en verve. Il se radicalise chaque jour. L’ignorer serait dramatique dans l’analyse de la situation et la direction à prendre dans les initiatives politiques des principaux dirigeants occidentaux.

    Bien à vous cher JP