Russie – septembre 2015

En Russie, comme partout dans le monde, la rentrée se fait en septembre. Je voudrais attirer votre attention sur quelques faits marquants qui n’ont, semble-t-il, pas retenus l’attention des « commentateurs » : la mise en place de la banque d’investissement chinoise [ IAAB], les cérémonies du 70e anniversaire de la fin de la guerre mondiale(1937-1945) à Pékin enfin l’ouverture du forum économique international de Vladivostok.

La banque chinoise d’investissement [IIAB]

Le principe de la création de cette banque a été lancée en octobre 2013 par le Président chinois Xi-Jinping. L’objet est de stimuler l’interaction financière de la région Asie-Pacifique, de faciliter les projets d’infrastructure et de contribuer à l’ élargissement du processus d’intégration. Ce projet ambitieux a été signé le 27 juin 2015 par 57 pays dont les quatre plus importants investisseurs sont la Chine avec 29,78 milliards de dollars, l’Inde 8,37 mds de dollars, la Russie 6,54 mds de dollars et l’Allemagne 4,5 mds de dollars. Elle est le plus grand contributeur non asiatique. Cette banque sera opérationnelle à partir du 1 janvier 2016. Chaque pays a reçu des actions et des droits de vote en fonction de son apport, mais les pays de la région Asie-Pacifique doivent représenter 75% du total des actifs minimum ; les 25% restants pouvant être distribués à des actionnaires. Les actifs de l’IAAB s’élèvent à 100 mds de dollars. La Chine aura bien sûr un droit de bloquer les décisions de l’IAAB qui impliquent la majorité de 3/4 des votants ; elle pourra utiliser ce droit pour l’élection du Président de l’IAAB ainsi que pour définir la stratégie d’investissement. Si les principaux pays de l’Union européenne ainsi que la Banque de développement et d’investissement d’Afrique ont décidé d’y adhérer, Les Etats Unis et le Japon ont refusé d’y adhérer, voyant dans l’AIIB. une concurrence sérieuse pour la Banque mondiale, le FMI et la Banque asiatique de développement

Il est intéressant de noter qu’entre les années 1990 et 2000, l’essentiel des investissements majeurs en Russie ont été financés par la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) dont le siège est à Londres. Or, en 2014, pour des raisons géopolitiques, la part de la Russie représente moins de 1% des contrats de la BERD. Bien évidemment, on comprend que la Chine ait décidé de profiter de cette opportunité pour investir dans le développement de la Sibérie et de l’Extrême Orient russe (100 milliards de roubles pour la création d’usines en Sibérie).

C’est dans ce contexte d’affirmer désormais clairement sa volonté d’être reconnue comme une grande puissance que la Chine a décidé de célébrer le 70e anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale devant un parterre de la plupart des chefs d’état de l’Asie, des Etats membres de l’’Organisation de coopération de Shangaï, mais aussi de Syrie, d’Afrique du sud et de pays d’Amérique du Sud. De l’Union européenne, seul le Président de la République tchèque, M. Miloch Zeman avait accepté l’invitation. La France était représenté par son ministre des Affaires étrangère, Laurent Fabius. Les Etats Unis et le Japon avaient décliné l’invitation. Cette commémoration était d’autant plus importante que pour la première fois, las Autorités chinoises présentaient dans le défilé militaire 85% d’armements nouveaux dont la célèbre fusée DF 41D qualifiée de « tueur de porte-avions ». Cette manifestation inaugurait aussi l’ouverture de la semaine Russie-Chine à Pékin et le Président Poutine y a signé plus de 30 contrats de développement économique ; Nous savons parfaitement la sensibilité des Chinois à leurs initiatives. Nulle doute que l’absence de l’Europe ne soit perçue comme le signe d’un transfert de puissance entre l’Occident et l’Orient ! Pour reprendre une expression historique le « Grand Jeu » dans l’Asie-Pacifique se jouera entre les Etats Unis et la Chine et leurs alliés respectifs. La Chine a semble-t-il pris une bonne longueur d’avance.

Enfin, un troisième événement a marqué la première semaine de septembre : l’ouverture du premier « forum économique oriental » à Vladivostok les 3-5 septembre 2015. En inaugurant ce forum le président russe a clairement souligné que désormais l’avenir économique de la Russie allait se développer dans l’Extrême-Orient. Une foultitude d’initiatives ont ainsi été lancée au cours de ce forum réunissant 30 pays et 4000 investisseurs : parmi les contrats signés les plus importants citons d’abord celui sur la construction du gazoduc Nord-stream 2 dans lequel sont impliqués les sociétés Gazprom, E.ON et DASF et le français Engi. Ce gazoduc pourra transporter 55 milliards de m3 de gaz depuis Vyborg à Greiswald en Allemagne, sans passer par l’Ukraine. Sa mise en service est prévue en 2019. D’autre part, le groupe indien ONGC exploitera en partenariat avec le groupe russe Vankorneft, le site de Vankor, au Nord de Krasnoärsk dont les réserves sont estimées à 524 Millions de T. de pétrole et 106 milliards de m3 de gaz !

D’autre part, le Président Vl. Poutine a lancé une vaste opération destinée à accroître la densité de population dans l’Extrême-Orient : ainsi tout citoyen russe désireux de quitter l’Ouest du pays pour l’Est, recevra un hectare gratuit de terres pendant 5ans et cet hectare deviendra sa pleine propriété après sa mise en valeur. 30 millions d’hectares vont être proposés aux 30 millions de citoyens russes qui ont manifesté leur intention de se déplacer vers l’Extrême-Orient. Dans le même esprit, la loi de développement anticipé, votée en 2014, a permis de créer 9 régions qui bénéficient de ce statut (TDA). Les charges sociales y sont réduites à 7,6% au lieu des 30% prévus par la loi et les impôts sur le revenu plafonnés à 5 %. Il s’agit d’attirer les investissements directs étrangers et de faciliter l’industrialisation de ces régions dans lesquelles l’AIIB a l’ambition d’investir 100 milliards de roubles. La compagnie chinoise, Jangsu Baioli investit 200 millions de dollars pour la construction de l’avion de transport MA 600 et prend le relai du contrat annulé par suite des sanctions par le canadien Bombardier pour la construction de 24 avions Q 400 à Oulianovsk ! Enfin, des centres de recherche de très hautes technologies, comme celui sur les technologies des maladies cardiovasculaires, vont se multiplier dans la région de Vladivostok pour faire du Primorié russe un pôle majeur de l’avenir économique du pays. Ainsi, les conséquences de la crise ukrainienne et du refus de livrer les Mistral deviennent bien visibles. Entre l’Europe et l’Asie, la Russie a désormais clairement choisi l’Asie pour son développement économique proche, dans un partenariat solide avec la Chine et l’Inde. L’Europe désormais n’est plus perçue comme une entité politico économique majeure avec laquelle un partenariat structurel aurait pu se développer, mais comme une réunion d’Etats avec chacun desquels la Russie est prête à dialoguer, comme ce fut le cas à Pékin avec le Président tchèque. Désormais, la Russie a largement ouvert son partenariat au monde entier comme le montre les contrats laitiers et agro-alimentaires (fourniture de viande de porcs notamment) qui sont en passe d’être signés avec la Brésil …pour remplacer la France ! En ce sens, nous pouvons comprendre que les sanctions puissent être perçus par les Russes comme un atout à saisir !

Dans un prochain blog, j’essaierai d’analyser comment lire les multiplications des manœuvres militaires intenses qui se déroulent de façon quasi permanentes de la Méditerranée jusqu’à l’Océan arctique ainsi que la nouvelle course aux armements dans la stratosphère.

Jean-Pierre Arrignon


Les commentaires sont clos.