« L’avènement d’un monde post occidental », conférence prononcée le 4 juillet 2017à Moscou dans le cadre des Mardis du Courrier de Russie

Le 18 février 2017, lors de la 53e conférence de Sécurité de Munich, Sergueï Lavrov, Ministre russe des Affaires étrangères, constatant l’expansion de l’OTAN et l’obsolescence du modèle global conçue à une époque où la vision de la globalisation économique et politique visait à générer la croissance d’une élite d’un club de pays et sa supériorité sur tous, estime qu’un tel système ne peut durer longtemps et que le moment est venu de construire un ordre mondial démocratique et juste, un monde post-occidental dans lequel chaque pays assumera sa propre souveraineté à l’intérieur d’un cadre juridique international et s’efforcera d’équilibrer ses propres intérêts avec ceux de ses partenaires, dans le respect de l’identité culturelle, historique et civilisationnelle de chaque pays.

Dans un premier temps, nous chercherons à comprendre quand et comment cette perception du monde a prévalu puis dans un second temps, nous analyserons les énormes déceptions de la maison commune européenne à la Charte pour une nouvelle Europe, enfin nous essaierons de lire les perspectives proposées pour la construction de ce nouveau monde post-occidental.

  • La perception du monde dans la géopolitique théorique du XXe s.

La fin du XIXe s. et le début du XXe s. sont dominés en terme géopolitique par le géographe britannique John Mackinder (1861-1947) auteur de la théorie du Heartland dans un article de la Royal Geography Society de 1904 sous le titre Geographical Pivot of History ou Le pivot géographique de l’Histoire. Pour lui le Heartland correspond à l’empire russe ; en 1919 il résume sa théorie ainsi :

Qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle le Heartland

Qui contrôle l’Heartland contrôle l’île-monde (soit les Continents européen, asiatique et africain, considérés comme un ensemble vu comme le plus large, le plus riche et le plus peuplé). Le Heartland est au cœur de l’île monde !

Cette théorie géopolitique a été complétée en 1941 par le géopoliticien Nicholas Spykman (1893-1943) dans un article intitulé Geography of the Peace pour illustrer sa vision de la sécurité des Etats Unis : Il partage le monde en trois zones :

Le Heartland : l’Europe de l’Est et la Russie considérée comme le centre du monde.

Le Rimland ou « croissant intérieur » : Europe de l’Ouest, Proche, Moyen et Extrême Orient.

The Off-shore Continents  ou « Croissant extérieur » : soit le reste du monde, Grande Bretagne, Australie, Amériques du Nord et du Sud, Afrique.

Ces analyses théoriques jouent jusqu’à nos jours un rôle majeur dans la conception des zones d’influence auxquelles aspirent les grands états mais aussi la stratégie de nombreuses ONG.

Je me bornerai à souligner les principales étapes de ces constructions antagonistes

Au lendemain des 8/9 juin 1945, les relations entre les Alliés vont rapidement se dégrader :

-La Conférence de Postdam 17 juillet-2 août 1945 : art 1 « L’autorité suprême en Allemagne est exercée par les Commandants des forces armées des EU, RU, URSS et Fr., agissant chacun dans sa propre zone d’occupation ou conjointement, en toute matière affectant l’Allemagne dans son ensemble en leur qualité de membres du Conseil de contrôle ».

Or le 2 décembre 1946, à l’encontre des dispositions prévues ci-dessus, les Alliés créèrent la bizone par la fusion des zones anglaise et américaine ; laquelle devint trizone avec la fusion avec la zone française le 3 juin 1948.

Déjà le terme  guerre froide, employé pour la première fois, en 1945 par G. Orwell, reprise par Winston Churchill, lors du célèbre discours de Fulton le 5 mars 1946 : De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique un rideau de fer est descendu à travers le continent «  alimentait la pensée américaine du  containment/endiguement préparée par G. Marshall et Dean Acheson avant d’être finalisée par Harry Truman le 12 mars 1947.

Dès lors, l’URSS comprit que sa sécurité n’était plus garantie par des traités, mais dépendait de la création d’un glacis protecteur « d’états frères » formant une véritable ceinture de protection en fermant le rymland.

L’année 1948 est décisive. Le coup de Prague du 17 février 1948 fait prendre conscience de la nécessité de protéger les Etats qui se définissent comme démocratique, de la menace soviétique portée par les Partis communistes nationaux. Aux élections de 1946, le PC tchèque obtient 38% des suffrages ; son Secrétaire général Klement Gottwald devient Président du Conseil et profite de la maladie du Président Edvard Benes (1884- 3 septembre 1948) pour liquider le Parti démocratique slovaque et s’emparer du pays avec l’aide du général Ludvik Svoboda. Notons que la nièce d’Ed. Benes, Emilie-Anna Benes «épouse Zbigniew Brzezinski (1928-2017), ce qui explique la suspicion des Soviétiques à l’égard du conseiller du Président Carter !

Ces tensions culminent avec la fondation de l’OTAN le 4 avril 1949 à laquelle répond le Pacte de Varsovie, fondé  le 14 mai 1955– dissous le 1 juillet 1991.

En réponse à la réunion de la trizone (3juin 1948), base de la future République fédérale allemande, les Soviétiques répliquent par le blocus de Berlin (12 juin 1948-12 mai 1949) mais la réponse structurée est bien sûr le Pacte de Varsovie. Désormais, la guerre froide caractérise les rapports de l’URSS et du monde occidental jusque dans les années 1985 : ce fut une époque marquée par la célèbre formule Paix impossible guerre improbable. Période qui correspond néanmoins aux guerres de libération des peuples colonisés largement soutenus dans leur lutte par l’URSS :

Juin 1945 : fin du mandat français au Liban et en Syrie

2 septembre 1945 : Ho chi Minh proclame l’indépendance du Viet-Nam

Décembre 1946 début de la guerre d’Indochine – 27 juillet 1954 Accords de Genève : fin de l’Indochine française ; indépendance du Cambodge, Laos et Viet Nam (partagé en 2)

1 novembre 1954 début de l’insurrection algérienne

18-24 avril 1955 Conférence de Bandung qui condamne la colonisation

1956 nationalisation du canal de Suez par Nasser ; indépendance du Maroc et de la Tunisie

1960 Indépendance du Bénin, Burkina Faso, Cameroun, de la République centrafricaine, du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Sénégal, Somalie, Tchad et Togo

18 mars 1962 Accords d’Evian ; fin de la guerre d’Algérie

5 juillet 1962 Indépendance de l’Algérie.

Une autre date important dans les relations entre l’URSS et l’Union européenne est la signature par 35 Etats dont l’URSS de Léonid Brejnev des accords d’Helsinsky (1973-1975) lesquels énumèrent 10 points majeurs, formant le décalogue : 1-Respect des droits inhérents à la souveraineté 2-Non-recours à la menace ou à l’emploi de la force 3-inviolabilité des frontières 4-intégration territoriale des Etats 5- Règlement pacifique des différents  6- Non-intervention dans les affaires intérieures 7- Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales 8- Egalité des droits des peuples et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes 9-Coopération entre les Etats 10- Exécution de bonne foi des obligations assumées conformément au droit international.

(Pour surveiller cet accord fut créé l’Helinsky Watch qui, plus tard, a donné naissance à Human Rights Watch. Cet accord signé par Léonid Brejnev fur largement utilisé par les dissidents de l’URSS pour faire valoir les droits reconnus !

  • De la « Maison commune européenne » à la Charte pour une nouvelle Europe.

En mars 1985 Mikhail Sergeevič Gorbatchev opte pour une nouvelle politique : à l’intérieur c’est la Glasnost et la perestroÏka, termes dus à Jurij Andropov, Secrétaire général 1983-1984 ; à l’extérieur : la Nouvelle pensée. En février 1986, la Nouvelle pensée définit une approche nouvelle des relations internationales qui met en avant l’interdépendance des problèmes qui touchent la planète et la nécessité de désidéologiser les relations internationales. C’est dans ce contexte que se définit le concept de Maison commune européenne. Cette image appelle l’idée d’une communauté naturelle entre l’URSS et l’Europe.

En 1986/87 François Mitterrand, Margareth Thatcher et Helmut Kohl sont très prudents face à cette Maison commune européenne (MCE) ; seul Hans Dietrich Genscher y voit un « facteur décisif pour la réunification allemande », mais il est isolé.

En mars 1988, alors que Gorbatchev appelle à un rapprochement entre les pays du COMECON et ceux de la Communauté européenne, François Mitterrand se rapproche de l’URSS et le 31 décembre 1989, il propose de construire une Confédération européenne dans laquelle l’URSS rénovée à toute sa place comme le montre la signature de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe par 34 pays dont les Etats-Unis et l’URSS, le 2 novembre 1990, dans le but d’ouvrir une nouvelle ère de paix et d’unité dans l’esprit des accords d’Helsinky.

Ces efforts vont  hélas rapidement échouer ; durant l’année 1989,  les démocraties populaires rompent avec l’URSS et le socialisme ;  Au début de l’année 1989, au Kremlin, le secrétaire d’Etat James Baker avait rencontré M.S. Gorbatchev. Après une large discussion sur le futur d’une Allemagne réunifiée, Gorbatchev promet de « réfléchir à tout ça » et ajoute « il est entendu, c’est clair que l’élargissement de la zone de l’OTAN est inacceptable » et J. Baker de conclure « Nous sommes d’accord avec cela ». C’est sur cette déclaration que les Russes ont eu le sentiment d’avoir été profondément trompés et trahis car après la réunification de l’Allemagne le 17 juillet 1790, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne sont devenus membres de l’OTAN le 12 mars 1999 ; la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, le 29 mars 2004 ; L’Albanie et la Croatie, le 1 avril 2009 ; enfin le Monténégro  le 5 juin  2017.

Le Rymland est désormais complètement sous le contrôle de l’OTAN, ce qui signifie que les Etats Unis sont en mesure de contrôler le Heartland ! Cette vision du monde trouve bien sûr son prolongement dans la théorie du chaos constructif portée notamment par Madame Condoleezza Rice, chaos d’où devait sortir une démocratie apaisée sous contrôle américain ; nous avons pu en mesurer le résultat en Afghanistan, en Irak ou en Libye. Cette théorie trouve également sa légitimité dans les sanctions que le Sénat américain souhaite renforcées en ce moment même ! Nous sommes dans le rapport du faible au fort, du dominant au dominé.

Ces événements expliquent pourquoi Boris Eltsine abandonne la stratégie pro-occidentale, se ferme aux discours sur l’Europe et les Etats-Unis, reprend les propositions d’Evgenij Primakov (1919-2015) et se tourne vers la Chine pour créer en  1996  l‘organisation de Coopération de Shangaï (OCS). Celle-ci, en son origine dialectique est une réponse aux visions géopolitiques de Mackinder et Spykman ; il s’agit en effet de fermer le Rymland, notamment l’Asie centrale, aux interventions américaines. Vous comprenez bien sûr que l’Ukraine est aujourd’hui un enjeu majeur !

Avec l’arrivée de Vladimir  Poutine en 1999, la Russie essaie encore de s’entendre avec les Etats Unis et s’affirme toujours européenne, ce qui permet à la France, l’Allemagne et la Russie de lancer le 10 février 2003  « l’axe Paris-Berlin-Moscou qualifié d’axe de la paix ».Cette nouvelle donne portée en France par Jacques Chirac et Dominique de Villepin, en Allemagne par H.-D. Genscher et à Moscou par V.V. Poutine, a immédiatement suscité une violente réaction des Etats Unis : Dans le New York Times, Thomas L. Friedman écrit : «  il est temps pour les Américains de s’en rendre compte : la France n’est pas seulement notre alliée agaçante, la France devient notre ennemie ». Cette incroyable agressivité annonce l’échec de l’axe Paris – Berlin – Moscou, suite au début de la guerre du Golfe le 20 mars 2003. L’échec de cette initiative franco-germano-russe était bien sûr annoncé par le retrait des Etats-Unis du Traité de limitation des armes balistiques (Traité ABM) conclu en 1972 et officiellement dénoncé le 13 décembre 2001 ; l’offre de la Russie de travailler ensemble, Etats-Unis-Europe et Russie, a la création d’une défense antibalistique commune, a été rejetée ; si ce projet avait été retenu, la question des armes balistiques de la Corée du Nord se serait posée autrement !

Une ultime chance de renouer le dialogue entre les Etats Unis et la Russie a été offerte par les tragiques événements du 11 septembre 2011. La Russie est le premier pays à soutenir les Etats Unis et à ouvrir les aéroports de la route de la soie, bien que la Russie soit indignée par l’attaque de l’Irak sans l’accord de l’ONU et par le projet de pipe-line Bakou-Tbilissi-Ceyhan pour se passer des oléoducs russes. Avec l’Europe, les relations se tendent avec l’élargissement progressif de l’Union européenne, les révolutions de couleur pro-occidentale en Géorgie (Révolution des roses 2003) et Ukraine (révolution  orange 2004 et de Maïdan (18-23 février 2014) ; en retour, la Russie, exaspérée, reconnaît l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud et la Crimée comme membres de la Fédération et intervient en Syrie au côté de Bachar el Assad et du Hezbollah chiites iranien contre Daech. La destruction d’un Sukhoi 22 syrien, le 18 juin 2017 par la coalition rompt tous liens avec cette dernière dans le ciel syrien provoquant le désengagement de l’Australie. Le soutien de la Russie au Qatar dans son conflit avec l’Arabie saoudite a pour objectif de contrer le nouvel axe géopolitique Tel-Aviv-Ryad introduit par le Président D. Trump lors de son voyage de juin 2017 à Ryad puis Tel-Aviv enfin l’Otan, et surtout de sortir de l’axe chiite, en soutenant le Quatar pays officiellement sunnite !

Dans ce contexte extrêmement tendu tant en Extrême-Orient avec la Corée du Nord qu’au Moyen-Orient avec la Syrie et la Libye, comment tenter de lire ce que pourrait être le monde post-occidental.

 

  • « Le monde post occidental »

Serguei Lavrov dans son intervention donne les grands lignes de son projet : « La Russie n’a jamais caché ses vues et a toujours été sincère en défendant un travail basé sur une marche commune pour créer un espace commun de sécurité, de bon voisinage et de développement de Vancouver à Vladivostok » . Cette déclaration est importante ; elle souligne que pour les Russes, les tensions entre l’Union européenne, voire le Canada  et la Russie sont, dit-il, contre-nature dans la mesure où ces tensions sont provoquées et instrumentalisées par les Etats-Unis. La Russie constate l’absence d’un véritable pouvoir européen capable de porter une politique étrangère autonome et d’en assumer les conséquences : le cas récurrent est l’application de l’accord dit de Minsk2 (11 février 2015) accord porté par la France, l’Allemagne et  la Russie. L’accord comprend 12 points dont le point 3 – organiser une décentralisation des pouvoirs, par la mise en application d’une loi ukrainienne accordant de manière temporaire l’autonomie locale dans les oblasts de Donetsk et de Lougansk. Or ce texte qui est la clé permettant le début de l’application de Minsk 2 n’a jamais été écrit et proposé  par le gouvernement de Kiev, alors que le tribunal constitutionnel de Kiev a validé Minsk 2 et autoriser  le gouvernement de Kiev à modifier sa constitution ! Le nouveau Président français Emanuel Macron a probablement  là une exceptionnelle opportunité de relancer une diplomatie française et  surtout européenne active d’autant que la position d’Angela Merkel est affaiblie en Russie, mais aussi en Europe ! Hélas, lors de la récente visite à Paris du Président Porotchenko, juin 2017, le Président français a repris complètement à son compte les positions allemandes et ukrainiennes !

Cette marche commune pour créer un espace commun de sécurité ne peut en outre être sous la dominance sécuritaire de l’OTAN laquelle s’inscrit désormais clairement dans une vision agonistique des rapports avec la Russie ; pour s’en convaincre, il suffit d’égrener les grandes manœuvres militaires organisées par l’Otan depuis la Finlande à la mer Noire : kevadtor-2017 en Estonie, Iron Wolf 2017 en Lituanie, Du 17 au 19 juin, l’opération de défense du corridor de Suwalski, du 10 au 12 juillet Sea Breeze avec les Ukrainiens en mer Noire etc. En face, les Russes et les Biélorusses préparent pour septembre les manœuvres Zapad 2017 dans la perspective de repousser une attaque de l’Otan en Biélorussie. Il est clair que la dynamique occidentale impulsée par l’OTAN est de faire de la  Russie l’ennemi virtuel et potentiel dont il faut se protéger. D’ailleurs dans le codage des manœuvres militaires de l’OTAN, le recours aux anciennes couleurs traditionnelles : le bleu, pour les alliés et le rouge, pour l’adversaire ont été rétablies ! La création d’un espace de sécurité commun ne semble pas pouvoir être une espérance dans un avenir proche ! Ces tensions ont évidemment de grande répercussion sur les citoyens Russes, héritiers des 26 millions de soviétiques qui ont donné leur vie pour la liberté de l’Europe !

Ces tensions consécutives à la crise ukrainienne de 2014 ont mis la Russie au ban des nations occidentales en imposant à son économie des sanctions dont les conséquences ont été estimées par  V. Poutine à 1% du Pib. Aujourd’hui la Russie table néanmoins sur une croissance de l’économie russe de 1,1% en 2017 et de 1,4% pour 2018. Les principaux moteurs de la croissance sont les prix  du pétrole  stabilisés entre 44 et 46 dollars le baril grâce à l’accord conclu avec l’Arabie saoudite pour réduire la production, la stabilité accrue du rouble grâce à une inflation maîtrisée, l’amélioration du climat d’investissement et la baisse des risques pour les investisseurs étrangers (IDE) ; enfin la croissance de la production industrielle de 3,2% fin 2016 est un signe positif. C’est pour ces raisons, qu’au dernier sommet du G20 V.V. Poutine a pu déclarer « notre économie s’est stabilisée. Nous avons conservé nos réserves et considérablement réduit la fuite des capitaux. Par rapport à 2015, la fuite des capitaux a été diminuée par 5, l’inflation réduite de moitié, le déficit budgétaire s’élève à 2,6%. Le chômage est maintenu à un niveau très bas 5,7% ; la dette extérieure également  12% par an. En 2016 la Russie a augmenté ses réserves d’or de 1255 T pour atteindre 2905 T, chiffre record depuis l’effondrement de l’URSS. Poutine et Xi Jinping pensent que la confiance dans le dollar va tomber dans la durée et que le dollar sera utilisé comme une arme contre la Russie et la Chine ; dans cette perspective, l’or est un investissement excellent.

Les conséquences des sanctions ont été surtout actives dans le domaine financier et bancaire. Aussi la Russie a remplacé l’Occident par les places asiatiques. Ce n’est pas un hasard si l’ASEAN souhaite entrer dans l’Organisation de Coopération de Shangaï. D’ailleurs Sergueï Lavrov a bien rappelé dans sa déclaration que «  la Russie est un Etat eurasiatique avec une variété des cultures et d’ethnies. La clarté et la bonne volonté dans nos relations avec tous les pays et en particulier avec nos voisins ont toujours été inhérentes à notre politique. Cette politique sous-tend notre travail commun avec la Communauté des Etats Indépendants, (CIS), l’Union économique eurasienne, l’Organisation du traité collectif (CSTO), les BRICS et surtout l’Organisation Coopération de Shangaï dont les investissements massifs en Sibérie ont pallié le retrait des investissements européens.

Comme on le voit, le danger pour l’Union européenne est de se retrouver une péninsule d’un vaste continent dont l’accès lui est rendu difficile et en partie fermée par la Russie, membre fondateur de l’OCS. Le temps devrait venir de recouvrer raison, d’arrêter les spéculations russophobes comme on le voit dans les suites de l’élection américaine, de collaborer avec les Russes dans la lutte commune contre les djihadistes de Daesh. La Russie a besoin d’une Europe forte et indépendante, telle que l’a toujours souhaitée feue Simone Veil, assumant un passé commun pour construire un monde basé sur des relations pragmatique, le respect mutuel et la responsabilité partagée et particulière pour la stabilité globale.

Or, pour conceptualiser un monde « post-occidental », il est indispensable de sortir de la vision géopolitique de Mackinder et de Spykman laquelle s’inscrivait dans un rapport permanent du faible au fort, du dominant au dominé, du contrôle du Rymland pour assujettir l’Heartland, l’île monde ! Comment sortir de cette vision. Tout d’abord en rejetant toute idée de sujétion. Ainsi, pour qui connaît l’Extrême Orient et en particulier la Chine, mais aussi le Viet Nam et d’autres, l’idée de soumission renvoie immédiatement à des souvenirs historiques lourds et tragiques. Les rapports de vassalité, voire de dépendance, n’engendrent que mépris et rejet. Le temps est probablement venu de proposer une politique internationale sur la base que propose Sergueï Lavrov, sur le respect de la souveraineté de chacun, souveraineté politique mais aussi culturelle et civilisationnelle. Le modèle unique d’une civilisation, reposant sur les valeurs engendrées par la Révolution française proposée par l’Occident, a vécu.

Pour conclure, je soulignerai trois démarches qui sont à suivre et à analyser : la première est celle d’Astana, où, sans les Etats Unis ni les Européens, a commencé à s’engager un dialogue entre les Syriens dont on peut espérer voir enfin ce pays sortir de ces longues années de guerre par un processus de trêve avant de s’engager vers une véritable reconstruction tant politique, qu’économique et culturelle. Le dialogue est plus efficace que la menace ; la seconde se déroule en ce moment dans le cadre de la préparation du prochain voyage du Président Xi Jinping à Moscou, le vice-ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Igor Morgulov, a présenté quelques éléments de la « carte routière » que les deux pays entendent suivre dans  la crise de la Corée du Nord. Face aux essais balistiques et nucléaires du Président Kim Jong-un, les Etats-Unis ont immédiatement déployé une puissante flotte autour des trois porte-avions Karl Vinson, Ronald Reagan et Nimitz, s’engageant avec leur allié de Corée du Sud dans un rapport de force dangereux ; au contraire, Chinois et Russes proposent d’engager dans le respect mutuel, le dialogue sur l’ensemble des questions litigieuses entre les deux pays, de renoncer à l’usage de la force pour trouver des solutions qui puissent être garanties par la communauté internationale et son expression politique l’ONU qui, en dépit de ses lacunes, reste le seul lieu où la recherche de la Paix reste la priorité. Enfin, le troisième scénario concerne les discussions engagées depuis un an entre le Japon et la Fédération de Russie sur le statut des îles Kouriles, pour que chacun participe au développement économique de ces îles dotées d’un statut juridique spécifique qui permette aux deux pays de signer enfin un traité mettant fin…à la seconde guerre mondiale. Or, c’est le travail, le respect mutuel et le dialogue  qui ont fait progresser les points de vue vers la conclusion d’un accord ouvrant sur la Paix.

C’est donc dans le renoncement au rapport de dominant à dominer et surtout  dans le respect de la dignité, de la culture et de l’héritage de chacun que nous devons entrer dans le monde post-occidental. Pour ce faire n’oublions pas ce message si souvent répété mais rarement appliqué :

« In terra Pax hominibus bonae voluntatis »

Puisse enfin les hommes de bonne volonté construire un monde plus juste, plus respectueux de chacun, pour qu’un jour la symphonie de la Paix soit manifeste dans le monde. Puisse l’esprit d’Helsinsky renaître à nouveau

 

J.-P. Arrignon

[VIDEO] Conférence de Jean-Pierre Arrignon sur «L’avènement d’un monde post-occidental»

 

 


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